DRMacIver's suggestion on how to read a mathematics textbook recently reminded me of Grothendieck's "rising sea": reading maths front-to-back reminds me of his brute force "hammer and chisel" approach, while finding interesting results and then poking around, examining their supports, has much more the feel of gradually increasing one's knowledge, to the point where the material to be learned can be "opened by hand like a ripe avocado".
IOW: attempting to bulk load the totally ordered pages of a maths book thrashes my intellectual cache, but specific branches of the underlying partial order are often short enough streams to fit.
Prenons par exemple la tâche de démontrer un théorème qui reste hypothétique (à quoi, pour certains, semblerait se réduire le travail mathématique). Je vois deux approches extrêmes pour s’y prendre. L’une est celle du marteau et du burin, quand le problème posé est vu comme une grosse noix, dure et lisse, dont il s’agit d’atteindre l’intérieur, la chair nourricière protégée par la coque. Le principe est simple : on pose le tranchant du burin contre la coque, et on tape fort. Au besoin, on recommence en plusieurs endroits différents, jusqu’à ce que la coque se casse — et on est content. Cette approche est surtout tentante quand la coque présente des aspérités ou protubérances, par où « la prendre ». Dans certains cas, de tels « bouts » par où prendre la noix sautent aux yeux, dans d’autres cas, il faut la retourner attentivement dans tous les sens, la prospecter avec soin, avant de trouver un point d’attaque. Le cas le plus difficile est celui où la coque est d’une rotondité et d’une dureté parfaite et uniforme. On a beau taper fort, le tranchant du burin patine et égratigne à peine la surface — on finit par se lasser à la tâche. Parfois quand même on finit par y arriver, à force de muscle et d’endurance.
Je pourrais illustrer la deuxième approche, en gardant l’image de la noix qu’il s’agit d’ouvrir. La première parabole qui m’est venue à l’esprit tantôt, c’est qu’on plonge la noix dans un liquide émollient, de l’eau simplement pourquoi pas, de temps en temps on frotte pour qu’elle pénètre mieux, pour le reste on laisse faire le temps. La coque s’assouplit au fil des semaines et des mois - quand le temps est mûr, une pression de la main suffit, la coque s’ouvre comme celle d’un avocat mûr à point ! Ou encore, on laisse mûrir la noix sous le soleil et sous la pluie et peut-être aussi sous les gelées de l’hiver. Quand le temps est mûr c’est une pousse délicate sortie de la substantifique chair qui aura percé la coque, comme en se jouant - ou pour mieux dire, la coque se sera ouverte d’elle-même, pour lui laisser passage.
L’image qui m’était venue il y a quelques semaines était différente encore, la chose inconnue qu’il s’agit de connaître m’apparaissait comme quelque étendue de terre ou de marnes compactes, réticente à se laisser pénétrer. On peut s’y mettre avec des pioches ou des barres à mine ou même des marteaux-piqueurs : c’est la première approche, celle du « burin » (avec ou sans marteau). L’autre est celle de la mer. La mer s’avance insensiblement et sans bruit, rien ne semble se casser rien ne bouge l’eau est si loin on l’entend à peine. . . Pourtant elle finit par entourer la substance rétive, celle-ci peu à peu devient une presqu’île, puis une île, puis un îlot, qui finit par être submergé à son tour, comme s’il s’était finalement dissous dans l’océan s’étendant à perte de vue...
Le lecteur qui serait tant soit peu familier avec certains de mes travaux n’aura aucune difficulté à reconnaître lequel de ces deux modes d’approche est « le mien ».
Récoltes et Semailles, § 18.2.6.4. La mer qui monte...